«Les salafistes en France restent dans leur bulle»
LE FIGARO:
INTERVIEW - Stéphane Lacroix est professeur à l'École d'affaires internationales de Sciences Po et spécialiste de l'islam politique. Il est notamment l'auteur de Les Islamistes saoudiens, une insurrection manquée (PUF).
LE FIGARO. - Qu'est-ce que le salafisme?
Stéphane LACROIX. - Salaf signifie ancêtre et désigne les premiers musulmans. Le salafisme désigne plusieurs mouvements qui prônent un retour à l'islam tel qu'il était pratiqué, selon eux, à l'époque du Prophète. Ce qui implique l'épuration d'un dogme qu'ils considèrent altéré, perverti au fil du temps, l'exclusion de toutes les écoles de pensée apparues plus tard au sein de l'islam: le soufisme, le chiisme... Et enfin l'adoption de pratiques sociales et religieuses ultraconservatrices. L'idéologie salafiste est née au XVIIIe siècle dans la péninsule arabique. Son maître à penser, Mohammed Abd al-Wahhab, deviendra par la suite le cofondateur du premier État saoudien avec le prince Mohammed Ibn Saoud.
S'agit-il d'un bloc homogène?
Non. La majorité des salafistes sont quiétistes, piétistes, non violents. À l'origine, ils ne s'intéressent pas à la politique. En Arabie saoudite par exemple, Mohammed Abd al-Wahhab va déléguer le politique à la famille Saoud. Ce n'est qu'à partir de la deuxième moitié du XXe siècle que les salafistes commencent à investir le champ politique, notamment pour concurrencer les Frères musulmans. Au départ, il ne s'agit que de constituer des groupes de pression pour faire valoir leurs idées. Le parti égyptien al-Nour (qui a emporté un quart des sièges au parlement, NDLR) est allé beaucoup plus loin. Il suit une logique politique qui se distingue de plus en plus de la logique religieuse. Ce qui d'ailleurs divise ce parti, certains estimant que cette politisation menace de dénaturer la doctrine salafiste. Et j'ai l'impression que les «durs» sont en train de prendre le dessus.
Il y a aussi une mouvance djihadiste, mais elle est très minoritaire. Elle est apparue avec le conflit afghan, et se pense comme un mouvement transnational, panislamisme. Enfin, il y a un salafisme populiste né après les révolutions arabes qui converge parfois avec les salafistes djihadistes dans le sens où les uns et les autres refusent de participer au jeu démocratique et se retrouvent ensemble dans la rue pour revendiquer l'application immédiate de la charia, la loi islamique. Il faut savoir que cette frange radicale du salafisme a été instrumentalisée par les régimes Moubarak ou Ben Ali pour isoler et diaboliser les Frères musulmans en Égypte et Ennahda en Tunisie.
» | Par Arielle Thedrel | vendredi 12 octobre 2012