LE MONDE: C'est le cauchemar que redoutent, depuis 1979, la plupart des alliés arabes des Etats-Unis : un lâchage américain. Qu'il s'agisse du royaume saoudien, des principautés du Golfe, ou de la monarchie hachémite en Jordanie, tous ont gardé en mémoire le sort du chah d'Iran. Pièce maîtresse de l'endiguement soviétique et d'un "grand jeu" pétrolier mis en place par Washington, après le renversement du premier ministre, Mohammad Mossadegh, en 1953, cet autocrate fut abandonné en rase campagne, une génération plus tard, par une administration américaine qui le jugeait désormais indéfendable.
Silencieux pendant la révolution tunisienne, inquiets par la tournure prise par les événements en Egypte, les monarchies autoritaires de la région ne peuvent qu'être déstabilisées par la succession de déclarations américaines incitant le président Hosni Moubarak à répondre au plus vite à la pression de sa rue.
L'Arabie saoudite est sortie de sa réserve traditionnelle en tonnant, jeudi 10 février, contre "l'ingérence de certains pays étrangers". Pour la dynastie saoudienne, les Etats-Unis alimentent la contestation par ces prises de position pressantes. Qu'un pays affaiblisse ainsi son allié leur paraît inconcevable et incompréhensible, surtout dans un contexte régional où tout ce qui pénalise l'axe des pays arabes présentés comme "modérés" (c'est-à-dire proches des Occidentaux) renforce le voisin iranien déjà débarrassé de l'endiguement assuré par l'Irak à la suite de l'invasion américaine de 2003.
Avec une Egypte paralysée pour longtemps par ses tumultes intérieurs, cet axe perd l'un de ses deux principaux moteurs. Même diminuée par le vieillissement du régime et la réduction de son influence régionale aux affaires palestiniennes, l'Egypte conservait jusqu'à présent des atouts : un appareil et un savoir-faire diplomatiques sans équivalent dans la région et une puissance économique émergente.
Le second moteur arabe, le saoudien, n'est pas sans défaillances, alors que la Jordanie connaît également quelques troubles. La convalescence du roi saoudien Abdallah au Maroc, après des opérations du dos subies aux Etats-Unis, en décembre 2010, a mis en évidence la fragilité d'une dynastie confrontée à la perspective de successions répétées compte tenu de l'âge avancé du roi (86 ans), de celui du prince héritier, Sultan (83 ans), et du suivant dans l'ordre de succession, le prince Nayef (77 ans). >>> LeMonde | Friday, 12 Février 2011