LE FIGARO: TEMOIGNAGE - Abed, un Pakistanais de 22 ans, avait été endoctriné par les talibans pour commettre un attentat suicide sur un poste frontière afghan. Estimant avoir été floué, il a raconté son odyssée à notre reporter dans sa prison près de Kaboul.
Lorsque le détenu Abed, condamné à une peine de réclusion de vingt ans, est amené dans le bureau du surveillant chef, au sein du bloc 7 de haute sécurité de la prison de Pulli Charkhi, son allure n'est pas différente de n'importe quel jeune homme du peuple qu'on rencontre dans les bourgades du Pendjab, province orientale du Pakistan. Visage caramel ourlé d'une barbe noire et coiffé d'un petit bonnet brodé, saroual-kamiz beige, sandales hors d'âge, Abed ressemble à tous ces pauvres travailleurs intermittents qui louent leurs bras à la petite semaine pour échapper au chômage. Il s'assoit calmement, refuse poliment de prendre un morceau de pastèque amenée par les gardiens et, dans ce bureau sommaire où flotte une légère odeur de fromage rance, il commence, dès notre première question, à raconter en dari son hallucinante mésaventure.
Né en 1987, fils aîné d'un Pendjabien parti travailler en Arabie saoudite, Abed quitte l'école dès l'âge de 11 ans. Avec ses quatre frères et ses deux sœurs, il vit à Multan, chez sa mère, femme au foyer nourrissant sa famille grâce aux mandats que lui envoie son mari. La plupart du temps il est au chômage, mais travaille un moment comme apprenti chez un boulanger. Son frère cadet se débrouille mieux, qui trouve un emploi fixe dans une fabrique artisanale de meubles. En 2007, un loueur de main-d'œuvre lui trouve un contrat à 150 roupies (3 dollars) par jour, pour travailler à Karachi, dans le quartier de Manzoor Colony, dans une PME qui fabrique des bonbonnes d'eau réfrigérée en plastique. Là, un certain Abdul Rafur, originaire comme lui de Multan, mais employé d'un niveau supérieur - il est peintre d'affiches publicitaires - se lie d'amitié avec lui. Comme Abed, Abdul Rafur n'est pas un musulman très strict : il ne se rend à la mosquée que pour le prêche du vendredi. À l'occasion des vacances de l'Aïd-el-Kébir, en décembre 2007, tous deux rentrent ensemble à Multan, pour célébrer en famille la grande fête musulmane. Le surlendemain, Abdul Rafur propose à son ami de l'emmener à ses frais visiter les magnifiques montagnes du Waziristan. Le piège de l'endoctrinement >>> Renaud Girard, envoyé spécial du Figaro à Pulli Charkhi (Est de Kaboul) | Mercredi 19 Août 2009