Iran : «La crise a révélé les fissures au sein du régime»LE FIGARO:
INTERVIEW - Pour le professeur Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l'Iran, «rien ne sera plus comme avant : la peur du guide suprême est retombée».Spécialiste de l'Iran, professeur de sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris, Farhad Khosrokhavar vient de passer six semaines en Iran pendant la crise. Il est l'auteur d'Avoir vingt ans au pays des ayatollahs *.
LE FIGARO. - Comment expliquer le récent «coup d'État» iranien ? Pouvait-on s'y attendre ?Farhad KHOSROKHAVAR. - Depuis sa création, il y a 30 ans, la République islamique a toujours eu deux dimensions : l'une théocratique et non élective, avec le guide suprême et, entre autres, l'armée, le pouvoir judiciaire ; l'autre, symbolisée par des organes élus directement par le peuple, comme le Parlement ou le président. Avec l'élection d'un réformiste, Khatami, en 1997, on a pu assister à l'essor de différents mouvements sociaux : les intellectuels, les étudiants, les femmes, les minorités ethniques. Ces derniers ont commencé à inquiéter le pouvoir dominant, c'est-à-dire ce que j'appelle le «duo au pouvoir» - le guide et la hiérarchie supérieure des pasdarans. Pour eux, il fallait trouver le moyen de se débarrasser de la dimension républicaine de la République islamique, qui mettait en péril le système. Une fois élu en 2005, Mahmoud Ahmadinejad, le candidat favori d'Ali Khamenei, a rapidement entrepris de désarticuler l'appareil d'État et de lui retirer sa relative autonomie. Il a fait changer trois fois le gouverneur de la Banque centrale, il a fait jouer la planche à billets, en ignorant les objections du Parlement. En parallèle, il a systématiquement réprimé la société civile. De quoi satisfaire le guide.
La victoire d'Obama, aux États-Unis, a-t-elle encouragé cette reprise en main ?Les élections américaines ont déstabilisé le pouvoir. Face à la rhétorique belliqueuse de George Bush, le régime iranien savait comment s'y prendre. À l'axe du mal, il opposait son propre axe du diable. Mais, face à la nouvelle politique de Barack Obama, le guide ne savait trop comment réagir. La reconduction d'Ahmadinejad se présentait donc comme la meilleure solution pour la survie du système.
Pendant les deux semaines précédant le scrutin, la campagne électorale avait paradoxalement créé une ambiance démocratique inédite…Pendant cette élection, le guide n'avait qu'une obsession : le fort taux de participation. Il a donc, d'abord, favorisé l'expression publique, en laissant les coudées franches aux jeunes, qui se déversèrent tous les soirs dans la rue, dans une ambiance festive, parfois jusqu'à trois heures du matin. Du jamais vu en Iran. En fait, Khamenei pensait qu'après avoir voté ils rentreraient docilement chez eux. Mais c'est révélateur d'une méconnaissance totale de sa société. Deuxième faux pas : l'organisation inédite de débats télévisés entre les différents candidats. Au lieu de favoriser Ahmadinejad, ils ont poussé de nombreux Iraniens à s'identifier à son adversaire principal, Mir Hossein Moussavi.
>>> Propos recueillis par Delphine Minoui | Mercredi 01 Juillet 2009