Monday, May 08, 2017

Le général de Gaulle sur l'intégration européenne


Extrait de la conférence de presse donnée par le Général de Gaulle le 15 mai 1962.

Je voudrais parler plus spécialement de l'objection de l'intégration. On nous l'oppose en nous disant : "Fondons ensemble les 6 Etats dans une entité supranationale : ainsi ce sera très simple et très pratique". Mais cette entité-là est impossible à découvrir faute d'un fédérateur qui ait aujourd'hui en Europe la force, le crédit et l'adresse suffisants. Alors on se rabat sur une espèce d'hybride dans lequel les 6 Etats acceptent de s'engager à se soumettre à ce qui sera décidé par une certaine majorité. En même temps, bien qu'il y ait déjà 6 Parlements nationaux plus l'Assemblée parlementaire européenne, plus l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui est, il est vrai, antérieure à la conception des 6 et qui, me dit - on, se meurt au bord où elle fut laissée, il faudrait de surcroît élire un Parlement de plus, qualifié d'européen, qui ferait la loi aux 6 Etats. Ce sont des idées qui peuvent peut-être charmer quelques esprits, mais je ne vois pas du tout comment on pourrait les réaliser pratiquement, quand bien même on aurait 6 signatures au bas d'un papier. Y a-t-il une France, une Allemagne, une Italie, une Hollande, une Belgique, un Luxembourg, qui soient prêts à faire, sur une question importante pour eux au point de vue national et au point de vue international, ce qui leur paraîtrait mauvais parce que cela leur serait commandé par d'autres ? Est - ce que le peuple français, le peuple allemand, le peuple italien, le peuple hollandais, le peuple belge, le peuple luxembourgeois songeraient à se soumettre à des lois que voteraient des députés étrangers, dès lors que ces lois iraient à l'encontre de leur volonté profonde ? Ce n'est pas vrai : il n'y a pas moyen, à l'heure qu'il est, de faire en sorte qu'une majorité étrangère puisse contraindre des nations récalcitrantes. Il est vrai que, dans cette Europe "intégrée" comme on dit, il n'y aurait peut-être pas de politique du tout. Cela simplifierait beaucoup les choses. En effet, dès lors qu'il n'y aurait pas de France, pas d'Europe, qu'il n'y aurait pas une politique faute qu'on puisse en imposer une à chacun des 6 Etats, on s'abstiendrait d'en faire. Mais alors peut-être ce monde se mettrait - il à la suite de quelqu'un du dehors qui, lui, en aurait une. Il y aurait peut-être un fédérateur, mais il ne serait pas Européen. Et ce ne serait pas l'Europe intégrée, ce serait tout autre chose de beaucoup plus large et de beaucoup plus étendu avec, je le répète, un fédérateur. Peut-être est - ce cela qui, dans quelque mesure et quelquefois, inspire certains propos de tel ou tel partisan de l'intégration de l'Europe. Alors, il vaudrait mieux le dire.